STEPHANE ARCAS – Black Flag ASBL-

-LE BLOG DE LA REVUE ALTERNATIVES THÉÂTRALES-N°2-JOURNAL DE CRÉATION BLEU BLEU- MARS 2016

© Michel Boermans

Journal d’une génération (2)

(en ligne ici)Du 17 au 25 mars prochain, Stéphane Arcas (plasticien, auteur et metteur en scène) reprend son spectacle « Bleu Bleu » au Théâtre Varia (Bruxelles) et le déclinera bientôt sous forme d’exposition au Printemps de Septembre (Toulouse).
Journal de création, 20 ans après le début de l’écriture du texte. Épisode 2/4.

Photo © Christine Arcas.

Mars 2016. Ce matin je suis connecté sur Facebook et au milieu de mon fil d’actualité, je vois deux yeux bleus qui me glacent le sang. Deux yeux saillants bleus, très bleus qui surgissent du passé. J’ai, l’espace d’une seconde, du mal à y croire mais, si, ce sont bel et bien eux.

Et c’est pour le coup encore une histoire de générations.

C’est un post d’un gars de Toulouse que je recroise rarement mais qui était très proche de Marie, mon ex petite amie qui m’a très largement inspiré un personnage de Bleu Bleu.

Donc Rodolphe A. a posté :

« 18 ans aujourd’hui… Quand je l’ai numérisée et mise en ligne en juin pour la sauver de la dégradation du temps, je ne pensais pas recevoir autant de retours et de si beaux messages de votre part. Un grand merci à vous.
Aujourd’hui elle a été vue plus de 300 fois et pour une vidéo de 26mn, c’est beaucoup.
Je la partage à nouveau car c’est un jour particulier… 18 ans c’est loin et c’est très proche en même temps. »

Accompagné d’un lien vers la vidéo « Ne Pas marcher en crabe »

C’est un film sur Marie.

Marie est morte d’un cancer à 25 ans en mars 98, il y a 18 ans.

En août, elle était venue me rendre une dernière visite à Marseille. Elle venait me dire adieu mais sans avoir à le dire.

Bref, elle avait demandé à Rodolphe de la filmer avant sa mort, genre le trip à la Wenders qui filme la fin de vie de Nicholas Ray (Nick’s Movie).

Parce que les supports analogiques disparaissent, le film et Marie ont refait surface dans mon quotidien par une autre brèche que celle que j’avais ouverte dans Bleu Bleu.

Vers la 21e minute elle parle des souvenirs et de la forme qu’ils prennent dès qu’on approche d’une mort annoncée.

« Les meilleurs souvenirs, les plus beaux souvenirs que j’ai, c’est ça, des atmosphères, des odeurs, des matières, des sensations… Beaucoup plus que des faits, des choses que j’ai vécues, des scénettes… Je crois que ça c’est pas réellement essentiel. »

Après ta mort tu avais demandé à ce qu’une fête soit organisée dans la maison de tes parents dans le Lot.

Il y avait un tas de tes habits posés en vrac pour que les gens en récupèrent. J’ai été terrifié car ils n’avaient déjà plus ton odeur.

Il y avait le film qui passait en boucle sur un moniteur.

Il m’avait été impossible de le regarder ce film. C’était vraiment une idée à la con… Tout : cette fête, ces fringues, ce film et ta mort en général, c’était une mauvaise idée.

Enfin, je l’ai regardé intégralement pour la première fois ce matin ton film.

 

Mais pas d’une génération. C’est pas si simple.

C’est, d’une part, une histoire de la Génération X, la génération sacrifiée, la génération perdue… oui.

Mais aussi, plus spécifiquement, c’est une mise en abyme, un brassage de générations dans le sens propre au monde de l’édition, en art, en imprimerie, en vidéo ou en informatique où une Génération est une étape de la reproduction d’une œuvre.

Dès lors, chaque étape pose le problème de la définition. On le voit clairement avec la vidéo et les photocopies où l’abus de la copie de la copie de la copie… finit par altérer la qualité, la fidélité à l’original.

Un texte manuscrit édité en librairie, puis en livre de poche, puis passé à la photocopieuse, re-photocopié, ensuite passé dans un logiciel O.C.R (optical character recognition), remis en page puis téléchargé et envoyé par mail… chacune de ces étapes-là est, ou peut être, considérée comme une génération.

Chacune à son niveau offre une lecture différente du même texte initial.

Chacune offre sa définition.

Bref… cette métaphore reprographique contient les deux aspects du travail de Bleu Bleu.

Le premier, c’est que cette génération perdue arrivée aux années nonante se trouve confrontée à la fin de l’ère technologique dite analogique. Qu’elle entre dans le numérique. Va donc lui succéder une génération pour qui ces problèmes de définition et de perte de qualité ne seront pas importants et où une copie paraîtra simple et identique. Une autre vision des choses, un autre brouillage du réel. L’uniformisation devient fondatrice, son idée de mise: le numérique. En un tour de passe-passe, les valeurs ne sont plus l’international et la personne mais la mondialisation et l’individu. Les années nonante c’est ça en gros : l’instant où cette manœuvre s’est opérée.

Le deuxième point est que le changement de contexte que procurent ces changements à répétition de génération d’un même texte, permet une lecture sous plusieurs angles, une mise à l’épreuve et offre donc une variation de points de vue qui permet de cerner le propos d’une manière moins simpliste. On obtient des cadrages qui peuvent révéler ce qui se joue dans le hors-champ et le non-dit.

Emma Gilles-Rousseau dans « Bleu Bleu », écriture et mise en scène Stéphane Arcas, exercice pédagogique, Cours Florent (Bruxelles). Photo © Stéphane Arcas.

Donc pour parler de Bleu Bleu dans un journal, commençons par re-situer le texte initial… Par fouiller dans l’historique du logiciel.

Le carnet : Bleu Bleu est à l’origine une nouvelle que j’avais écrite pour tuer le temps à Marseille lors d’un séjour prolongé à l’hôpital. C’était en 1996 et je l’avais rédigée sur un carnet et finie sur des feuilles libres. Après un accident qui avait failli me coûter la vie, je profitai donc de ce temps de pause pour faire le point et j’écrivais cette nouvelle qui racontait de manière à la fois très crue mais aussi très romancée ma vie quelques années plus tôt, en 1992, quand j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Toulouse.

La farde : en 99, je retombe sur le carnet et je décide de faire un film de cette nouvelle. J’écris le scénario et me rends à Toulouse pour tourner le film avec les moyens du bord. Mais une expo en Pologne et Lituanie m’est proposée de façon inopinée, donc je laisse le projet en plan. Le scénario avait était rédigé sur un mac SE et imprimé (dont un exemplaire rangé dans une farde au cas où), puis aussi stocké sur une disquette type Flopy.

Le fichier numérique : En 2007, de passage à Marseille je récupère des affaires dans mon ancien atelier dont ce scénario rangé dans la farde (au cas où). Mais pas de flopy et, surtout, pas le carnet original (qui lui, par contre, n’avait rien de prévu au cas où…). Je cherche à m’expliquer ce qui avait bien pu se passer mais en vain et je commence à accepter l’idée de l’avoir perdu. Quelque mois plus tard on me propose de participer au parcours d’artiste de Saint-Gilles. Je me dis  alors «Tu as perdu le carnet mais tu as le scénario, donc peut-être que tu peux réécrire une autre version, une nouvelle génération du projet.» Je fais donc une version de Bleu Bleu pour une lecture avec six comédiens qui est présentée dans un studio en sous-sol de la chaussée de Waterloo. En 2008, une autre version de cette lecture est présentée à la Bellone pendant une soirée composée. Cette version existe donc sous forme de document Word, elle est sur plusieurs disques durs, boîtes mails et en plusieurs exemplaires papier au cas où.

Après, il y a eu la création au Théâtre Océan Nord; là, j’ai des exemplaires du texte à foison, des traces numériques partout, et même une captation vidéo.

Ensuite, on l’a rejoué au Théâtre du Rond-Point dans le cadre du Festival Impatience.

Puis… là, maintenant, tout de suite, très bientôt, pour le spectacle il s’agit d’une reprise. Ou plutôt d’une série de reprises, sous forme de spectacle, ateliers avec des étudiants et aussi d’expositions.

Donc de nouvelles générations.

To be continued…

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