STEPHANE ARCAS – Black Flag ASBL-

-LE BLOG DE LA REVUE ALTERNATIVES THÉÂTRALES-N°3-JOURNAL DE CRÉATION BLEU BLEU- MARS 2016

Un texte de de Manuel Pomar

Né en 1971, en 1995 il abandonne l’École des Beaux- Arts de Toulouse, en 1997 il co-fonde ALaPlage et le collectif ALP, puis en 2007 co-fonde Lieu-Commun. ARTISTE, commissaire d’expositions, il écrit dans diverses revues. Entretient une relation complexe avec la peinture. Depuis plus de 20 ans, il persévère vainement à construire un pont bancal entre peinture, volume, espace et image. Pour y parvenir, il construit à l’aide d’objets récupérer des espaces complexes où il invite le spectateur à s’immerger dans un univers foutraque tourbillonnant de références. En tant que commissaire d’expositions, il ne se fait l’apôtre d’aucun courant et tente de soutenir sensiblement et avec conviction des artistes atypiques en dehors des modes et des réseaux. Ne s’est toujours pas remis de l’écoute de Nevermind.

(en ligne ici)

La vérité cachée sur les personnages de Bleu Bleu

… ou l’exercice casse gueule de l’écriture à la première personne du pluriel !
Du 17 au 25 mars, Stéphane Arcas (plasticien, auteur et metteur en scène) reprend son spectacle « Bleu Bleu » au Théâtre Varia (Bruxelles) et le déclinera bientôt sous forme d’exposition au Printemps de Septembre (Toulouse).
Journal de création, 20 ans après le début de l’écriture du texte. Épisode 3/4 par Manuel Pomar, directeur du Lieu Commun (Toulouse), et qui a inspiré l’un des personnages du spectacle.

 
À gauche : Claude Schmitz, Nicolas Luçon et Ugo Dehaes, acteurs dans « Bleu Bleu » de Stéphane Arcas. À droite, les originaux…

Depuis 1990, Stéphane Arcas et moi sommes amis, nous nous sommes rencontrés lors de notre entrée aux Beaux-Arts de Toulouse. C’est dans ce lieu que les personnages de Bleu Bleu se sont reconnus. A suivi une période intense, de travail, de fêtes et d’amitié, pendant ce qui furent nos années de formation. Je ne parle pas d’études, nous n’avons pas du tout abordé cette période sous cet angle.

À vingt ans, c’est déjà une deuxième jeunesse, avant on a été ado, âge du doute et de la confusion qui cède la place à celui des choix, des affirmations assénées trop fort, teintées d’arrogance à défaut d’assurance.

Nicolas, Jean, Pascal, Stéphane et moi avions chacun dans notre genre cette fausse assurance teintée de provocation et de bravade qui a fait que nous nous sommes rapidement accordés. La timidité et l’angoisse nous rendaient aussi grandes gueules les uns que les autres. Seul notre humour faisait passer la pilule. Une certaine candeur et notre capacité à l’auto-persuasion, nous permettaient de croire en quelque chose de plus fort que nous, l’émancipation par l’art. Notre motivation profonde et notre amitié nous aidaient à persister dans cette école d’art moribonde. Seul le choc thermique provoqué par la découverte de l’art nous permettait toutes les audaces. Notre maigre bagage artistique, quelques références classiques, un goût prononcé pour la BD et les comics, de vagues notions d’art contemporain, Basquiat à la limite, nous poussaient à redoubler d’efforts. Des journées de 24 heures, apprentissage des techniques, expérimentations tous azimuts, réactions, révoltes passagères puis la nuit, sorties, amitiés exacerbées par l’alcool et gueules de bois. Les Beaux-Arts étaient notre camp de base, l’atelier un miroir, sorte de projection fantasmagorique du lieu idéal de l’artiste. Des refuges nous étaient nécessaires, l’atelier bien sûr mais aussi les bars, BleuBleu, l’Abreuvoir, le Champagne, la Capsule, le Classico, le Petit Voisin, le Diagonal, sans compter les salles de concerts, les 3 Petits Cochons, le Petit Diable, le Bikini, FMR… Lieux de rendez-vous, de fêtes, de disputes, de drague, de rencontres, de vie quoi ! En même temps fallait bien bosser, pour payer tout cet alcool. Qui trimballait des profilés alu, qui livrait des pizzas pendant que certains travaillaient déjà à transmettre l’art à la jeunesse. Du 24 heures sur 24, je vous dis ! Rapidement nous avons adopté la liberté du langage artistique, oui Duchamp nous a émancipés, nous qui venions de milieux populaires. Ces années-là ont filé à une vitesse folle et sont restées fondatrices.

 
Manuel Pomar, vue d’atelier, 2011, Lieu-Commun, Toulouse.

Nous ne nous sommes jamais identifiés à la génération X de Douglas Coupland, non, nous n’étions pas en train de végéter sur la côte ouest avec des projets de logiciels ou de jeux vidéos, nous nous activions dans le sud-ouest avec des projets d’expos et de vidéos, nuance. Ce que je veux dire, c’est que nous n’avons jamais eu l’instinct grégaire au point de nous identifier à une génération. Notre prétention aveugle de croire en notre différence nous plaçait volontairement à distance du reste de la troupe, provocation. Malgré nos chevilles enflées, il faut bien l’avouer nous n’avons pas fait d’étincelles au box office, nous avons eu l’élégance de la discrétion ! Sûrement notre côté jeunesse occidentale désabusée, les enfants de la crise bercés à l’absence d’illusions et pas encore illuminés par l’arrivée de la toile. Nos origines populaires et immigrées ont peut être participé à forger notre côté lutte des classes, prêts à en découdre avec les bourgeois, l’art, le monde, enfin au moins jusqu’à Barcelone ! Autour de nous, les années 90 battaient leur plein. À la chute du mur ont succédé la guerre du Golfe, la guerre de Bosnie, le génocide Rwandais. Les paradigmes géopolitiques changeaient d’axe, du rapport est / ouest, nous basculions à la remise en question du nord par le sud, il était temps. Finalement la guerre froide n’avait t-elle pas servi à enliser les mouvements de libération coloniale? Malheureusement l’émancipation prolétaire n’a pas été l’option retenue, le totalitarisme libéral a pris le pouvoir. En même temps un totalitarisme religieux, paré de multiples vertus, déposait son voile opaque sur le reste de la planète. Toujours cet axe binaire, comme si l’humanité ne pouvait jongler qu’avec deux balles. L’art comme espace sensible est peut-être la seule proposition possible à cet état du monde. Notre Bleu Bleu, est un territoire libre, une sorte de Libertalia façon auberge espagnole, des étudiants artistes qui depuis des siècles, refont le monde et tentent d’inventer des échappatoires à une vie toute programmée. C’est pour cela qu’aujourd’hui, Bleu Bleu, la nouvelle, le texte, le film perdu, la pièce et bientôt l’exposition est une œuvre en chantier permanent. Les écritures se succèdent. L’œuvre, comme un organisme vivant qui tente sans cesse d’échapper à son auteur. Pour garder Bleu Bleu au plus près de lui, Stéphane choisit la position paradoxale de confier son travail à d’autres artistes. Pour l’exposition, l’idée est de réactiver à la fois les œuvres décrites dans la pièce mais aussi faire émerger des carnets de notes, des œuvres qui sont restées au stade de projet. Confier cette matière brute, ces premiers jets de la pensée à des artistes nés dans les années 90, à peine sortis des écoles d’arts. Comment les web native de la génération Y s’emparent et détournent les préoccupations de la génération X !
Comment ceux à qui on a asséné la disparition du prolétariat et de la lutte des classes peuvent-ils s’emparer des problématiques de la génération qui a assisté à l’effondrement du mur !
Comment ceux pour qui la copie est nette, juste une multiplication numérique infinie sans détérioration du signal, vont-ils détourner la complaisance dans les effets d’épuisement analogique de la génération précédente.

 
Manuel Pomar, « Black Out », 2005, VolKSystem, Toulouse.

À retourner ces phrases dans nos têtes, posons-nous quelques questions : est-ce que la lutte des classes se serait dissoute dans l’environnement numérique ? Est-ce que ce monde qui appuie sans cesse sur la touche bis repetita n’essaye pas en s’auto-copiant d’échapper à sa propre fin? La copie comme échappatoire à la mort? Le clonage comme issue plutôt que la reproduction ? Amusons-nous et faisons de notre monde un plagiat distordu de lui même, encore plus moche, plus violent, comme au bord de l’implosion ! Réalisons sa copie à coups de marteau, il ne mérite ni application, ni finesse !
À propos de marteau, Stéphane ou plutôt Arcas, attendait une fois nos profs des Beaux-Arts pour défendre son boulot, un marteau à la main ou comment dépasser la rhétorique par l’explicite ! De mon côté, la dernière œuvre que j’ai présentée, avant de quitter l’école, était un parpaing posé à côté d’un morceau de marbre, le tout titré au marqueur directement sur le mur, « La banlieue est décrépie mais le centre cossu ». Je crois que nous avions compris que pour nous maintenir en état de lutte, il nous fallait faire du sur place, tenir notre position. D’ailleurs cette métaphore guerrière teintée de romantisme adolescent faisait vraiment partie de notre champ lexical : camp de base, plan d’attaque, nous nous prenions pour une cellule dormante et les expositions étaient nos attentats. Finalement, l’idée du deal de drogue pour financer notre travail faisait partie de nos fantasmes, la fiction pour concrétiser le réel ! Il est ici question d’échanges et dans la pièce, la transaction se fait par contamination. Les artistes se servent de leurs clients comme sujets de leurs œuvres et les grossistes, par mimétisme, adoptent leurs pratiques artistiques. L’art est tout, l’art est dans tout. Dans Bleu Bleu l’exposition, il y a la transmission d’une matière brute qui passe par une confiance réciproque entre les générations. Un don, une contamination puis une appropriation. Notre objectif est de ne pas reproduire les mêmes erreurs que nos aînés (la génération 68, ceux qui se sont engouffrés dans la roue des « support / surface ») qui, en se positionnant en anciens combattants donneurs de leçons, ont annulé tout passage de relais. Bleu Bleu, c’est deux fois bleu et ce n’est pas si simple !
Les années 90, le XXIe siècle, être jeune, être vieux, quelle différence? L’important c’est l’art que l’on donne à sa vie, pas l’art du dandy, un être au monde mais être au monde, nuance. Non, ce n’est pas si simple, comme une décennie qui débute en 1989 par la chute du mur et s’achève en 2001 par la chute des tours. Trop d’architectes, trop d’entrepreneurs, pas assez d’artistes !

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