Critique du Soir (Avis de la rédaction) Comédie grunge prévient le sous-titre de « Bleu Bleu » de Stéphane Arcas. Promesse vite tenue par Nicolas Luçon qui entame cette pièce sous acide, titubant avec une folie douce dans une fascinante envolée lyrique sur les reflets bleutés d’un bouquet de bouleaux dans la nuit. La logorrhée du camé s’envole ensuite vers des considérations plus terre à terre mais sans se départir de ses allures de poète maudit, façon Pete Doherty. Voilà qui donne le ton de ces deux heures d’un romantisme baroque à l’ecstasy pour faire le portrait de jeunes étudiants toulousains des beaux-arts noyés dans la drogue et les rêves de consécration au début des années 90. Stéphane Arcas s’est inspiré de son vécu pour imaginer cette faune défoncée, squatteurs indolents qui se lancent dans le trafic de stupéfiants pour financer leur art. Imbus de leur vicieux génie, ils imaginent un nouveau concept : faire de leur expérience narcotique une œuvre en soi en filmant clients et fournisseurs. « Du narco-process-art, » se gausse l’un de ces Baudelaire croisés avec Duchamp et Escobar. Tout ceci n’est pas à prendre trop au sérieux mais comme une farce atmosphérique qui se moque d’une époque et d’un milieu foireux. Malgré son titre, « Bleu Bleu » ne dépeint pas le blues d’une génération mais l’observe se débattre avec les clichés qu’on veut lui asséner. « Y a eu la crise, le choc pétrolier, l’austérité. Les trente piteuses qui suivent les trente glorieuses. (…) On nous a promis le chômage au berceau, » balance l’un d’eux, digne étendard d’une génération « sacrifiée. » Et une autre de renchérir : « Nous sommes des merdes insignifiantes. A force de confort et d’introversion. Nous avons tous trop peur de nous faire défoncer la gueule par des matraques, de nous battre, que se soit armés ou à poing nus. » Mais c’est ce dernier qui aura peut-être la déclaration la plus parlante : « Je sens mon siècle qui débande. ». Tout cela est servi dans une étonnante langue vernaculaire et des expressions qui vous replongent d’emblée dans une décennie marquée par la guerre du Golfe. Une couleur lexicale formidablement travaillée et jamais forcée, teintée d’allusions musicales à Faith No More ou Diabologum. Le décor lui aussi donne une texture volcanique à ce phalanstère bordélique. « Grunge c’est un mot d’argot américain qui désigne la crasse entre les doigts de pieds ! » précise l’un des squatteurs de ce salon où la crasse s’incruste plutôt sur la moquette et les murs, entre traînées de cocaïne et giclures de peinture. Une décadence crade qui finit par phosphorer sous les blacks lights dans un final à la Jackson Pollock version rave party. Et puis, les comédiens … Ah les comédiens ! C’est simple, ils sont parfaits ! Marie Bos est une suave rêveuse mélancolique. Chloé de Grom est une éclatante femme libérée. Claude Schmitz et Ugo Dehaes sont d’hilarants pieds nickelés du commerce de la défonce. Impossible de citer tout ce petit monde déroutant (10 sur scène). Alors oui, certains passages sont trop longs. Oui, les délires sous amphets ne sont pas tous exaltants. Oui, il manque parfois de la profondeur dans cette déconnade désinvolte. Mais ce qui se dégage de cette furieuse et grouillante indolence, c’est un portrait paradoxalement criant d’une génération assoiffée de poésie, d’enivrement, de réenchantement. CATHERINE MAKEREEL

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