ENTRETIEN AVEC ARCAS ENTOURÉ DE NICOLAS LUÇON (comédien) et MICHEL CLOUP (musicien)
Plasticien, Stéphane Arcas aime les couleurs dans ses scénographies. Ce « Retour à Reims, sur fond rouge » dans lequel il épouse la pensée de Didier Eribon, sociologue hanté par la fabrication des identités et la honte sociale qu’il a éprouvée pour son milieu d’origine, traverse l’histoire du parti communiste en France dans une introspection mêlée de souvenirs d’enfance. Déjà un succès théâtral.
Stéphane Arcas, ton adaptation du livre de Didier Eribon « Retour à Reims » est particulièrement bien reçue par le public.
La distribution du texte entre les comédiens est très réussie et puis il y a ce clin d’œil en introduction, une scène avec un ventriloque. Quel est son sens dans le spectacle ? C’est une simple introduction ludique ?

Stéphane Arcas : C’est ce que je cherche à faire croire au début avec ce prélude en sketchs mais c’est une fausse piste parce que c’est par ce biais que nous entrons dans l’univers de Michel Foucault, une référence pour Eribon. Une relation s’installe entre le personnage, seul en scène, qui reçoit une marionnette qui ne lui est pas destinée. Narcissique, raciste, homophobe, cette marionnette sert d’exutoire populaire, on va dire, et peu à peu par hybridation, il en vient à raconter son placard sexuel et son placard social. Progressivement, ils se féminisent et deviennent de plus en plus sensibles… Mais on est peut-être les seuls à le comprendre…Je voulais mettre en parallèle le texte d’Eribon qui est un constat fort de ce qu’est devenue notre société et quelque chose de plus poétique, que l’on trouve chez Foucault, de plus onirique aussi…

La qualité du spectacle tient aussi à la qualité de l’interprétation par les comédiens qui se dédoublent pour incarner Eribon et la manière dont ils se complètent. Comment s’est effectué le travail de préparation ?

Stéphane Arcas : Ils ont d’abord lu le bouquin, chacun de leur côté. On début, on a beaucoup travaillé en individuel sur les longues tirades. Ils ont dénoué le nœud sociologique et philosophique d’Eribon mais avec leur logique propre. Du coup, quand on écoute l’ensemble, on a trois couleurs assez différentes. Et puis, il y a des choses qui se font inconsciemment. À la première, par exemple, on m’a dit qu’il y a chez Nicolas Luçon quelque chose qui vient de l’enfance dans sa façon de jouer et j’ai réalisé qu’effectivement c’est lui qui porte tout ce qui a trait à l’enfance… Quand il incarne le singe, quand il raconte le collège… Quand il parle du parti communiste et du vote front national… Le point de départ ce sont ses souvenirs d’enfance… C’était inconscient de ma part.

C ‘était important qu’il y ait une femme dans la distribution ?

Stéphane Arcas : Je ne suis pas homo mais je suis en empathie totale avec ce que dit Eribon parce je viens du même milieu, de la classe populaire, et j’ai connu les mêmes réactions : être pointé du doigt, marginalisé, parce qu’on s’intéresse à la peinture, à la littérature… Et de suite, il y a un soupçon d’un surplus de féminité. Pour moi, la gauche est de sexe féminin et être de gauche c’est être une femme. Après, il y a des femmes qui sont très patriarcale et qui se battent pour le pouvoir comme des hommes. J’avais déjà abordé ce thème en travaillant sur le « SCUM Manifesto » de Valérie Solanas qui est surtout connue pour avoir tiré sur Warhol. Or, elle a écrit un bouquin qui est sous-estimé à mon avis, plein d’humour.

Les comédiens n’ont donc pas participé au découpage ?

Stéphane Arcas : Non. En juin, on a eu une première session de lectures où j’avais déjà proposé plus ou moins le découpage. Puis j’ai revu le tout pendant l’été. Et ils ont pu s’emparer du texte. Je les laisse filer vers leur intuition et ensuite on assemble mais en gardant la couleur de chacun.

Comment choisis-tu tes comédiens ?

Stéphane Arcas : Ici, je suis allé vers des comédiens avec lesquels j’ai l’habitude de bosser et qui sont des passeurs de sens et arrivent à se débrouiller avec de grosses tartines tout en préservant le sens, sans se laisser aller à suivre la mélodie du texte.

Le texte n’a pas été réadapté ?

Stéphane Arcas : Ah si. J’ai gardé beaucoup de passages du bouquin tels quels et puis il y a des endroits où je commence par faire « du Arcas » en ajoutant des « Je veux dire », des « genre… », ou des extraits philosophiques, des expressions quotidiennes. Et puis, je suis allé chercher dans des interviews qu’avaient données Eribon pour avoir sa parole dans un endroit un peu plus fragile, et aussi des extraits plus littéraires… Cela crée une évolution sociale à l’intérieur même du texte.
Par rapport à la création musicale, cela tisse un lien. Comédiens et musiciens ont beaucoup travaillé ensemble.

Il s’agit d’une musique originale créée pour le spectacle. Elle a été pré-écrite en collaboration avec toi ?

Michel Cloup : Certaines choses ont été préparées en amont mais c’est surtout au moment où on a commencé à répéter en improvisant sur les voix des comédiens que la musique est apparue. Il y a un ou deux thèmes qui reviennent, joués de manière très différente mais beaucoup de choses sont créées en improvisation et arrivent encore d’ailleurs au fil des représentations. Globalement, ce n’est jamais identique. On suit et on accompagne les comédiens. Quand ils chuchotent, on essaye de chuchoter et quand ils gueulent, on essaye de gueuler. On a juste fixé des points d’entrée et de sortie… Bien que certains soirs on sorte plus vite que d’autres mais l’idée c’est de ne pas perdre le texte.

Nicolas Luçon, tu as l’habitude de travailler avec Stéphane. C’était différent cette fois-ci avec un texte qui n’est pas de lui ?

Nicolas Luçon : Le point commun, c’est qu’il vient toujours avec des monologues très longs. Sauf qu’ici, Stéphane est l’adaptateur du texte. Du coup, on a affaire à quelque chose qui fonctionne différemment. Quand c‘est Arcas qui écrit, c’est plus pété. Je me demande quelle drogue il faut avoir pris pour dire le texte. Ici, je dirais que c’est une drogue beaucoup plus soft… Mais le texte intéressait les comédiens, moi, en tous cas. Il a une certaine fluidité et utilise des concepts de sociologie abordables. Avant toute chose, c’est un témoignage. Eribon déroule sa pensée avec simplicité. 

Le fait de plonger dans des souvenirs familiaux rend-il le message d’Eribon plus accessible ?

Stéphane Arcas : Le livre est traversé de part en part par la littérature. La grand-mère qui se fait tondre à la fin de la guerre… On pense à « Hiroshima mon amour ». Il y a du Duras mais aussi du Genet, du Proust…

C’est voulu ces références ?

Stéphane Arcas : Il commence son livre par « Longtemps ». Je n’avais pas relevé à la première lecture. Puis, quand j’ai commencé à adapter, je me suis dit : « Comment j’ai pu passer à côté ? ». Il y a trop d’attention sur la recherche dans son livre et ce « Longtemps » est une occurrence qui traverse tout le texte.

Il y a une phrase qui vient un peu en conclusion « Nous ne sommes pas ce que l’on a fait de nous mais nous sommes ce que nous, nous faisons de ce qu’on a fait de nous ».
Stéphane Arcas : c’est une citation de Sartre par Eribon. Cette phrase est fondamentale. Il a réalisé cela quand il était étudiant et il y est revenu lors de son coming out social. Quant à moi, cette phrase m‘avait marqué bien avant de lire Eribon. Il fut un temps où je me la répétais comme une autodétermination. C’était lié à ma pratique de l’art contemporain. En la relisant dix ans plus tard, cette phrase m’est revenue à la gueule. Cette citation dépasse les classes sociales.

Les gens se reconnaissent-ils dans l’expérience de Didier Eribon ?

Stéphane Arcas : Ce qui est d’abord touchant, c’est la thématique de l’aveu. Et tout le monde peut se reconnaître dans le fait d’avoir eu honte de ses parents… Une question que je me posais : le parti communiste, cela va-t-il parler aux jeunes. On se situe après la chute du mur… Pour eux, c’est dans les livres d’histoire… Mais en fin de compte, ils ont l’air assez touchés.

Le portait de la gauche, assez juste et noir, que fait Eribon suscite des réactions ?

Stéphane Arcas : Il y a ceux qui ne viennent pas forcément au théâtre et qui voteront front national ou autre mais il faut reconnaître que vu l’évolution de la gauche, les gens votent par dépit, contre quelque chose… Ceci dit, il y a un espoir parce qu’il y a des alternatives, par le biais du PTB en Belgique, ou d’Écolo… En France, en Grèce, en Espagne, des mouvements naissent. Ces alternatives sont récentes et cela peut prendre du temps…

Propos recueillis par Palmina Di Meo

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