En direct depuis un vaste appart’ bordélique, à Toulouse, dans les années 90. La France des jeunes a découvert ce courant venu des USA, à la fois musical et vestimentaire : le « grunge » et la « Génération X », appelée aussi chez nous la « Bof Generation ».Nous pénétrons de plain pied chez Elodie et chez Nico qui a des copains aussi déjantés et paumés que lui. Ils forment un petit groupe qui se dit artistique autour d’un personnage central plutôt narcissique : Hadès, le bien nommé. En guise de préambule, il nous avait gratifiés d’un monologue poético-lyrique, très beau délire où l’on a pu voir l’aura des bouleaux…
Ils ont vingt ans et un mal de vivre criant. Ils se défoncent tout en ne perdant pas de vue un objectif immédiat : une « grosse exposition ». Au milieu des trips hallucinés, leur vient une « bonne » idée: devenir eux-mêmes dealers et ainsi financer leur projet. Outre le financement, ils vont trouver dans la came un excellent thème d’inspiration et de créativité pour leur « oeuvre » et nos artistes pour un temps actifs et exaltés, vont se transformer en cameraman, filmant fournisseurs et clients, les deux se confondant le plus souvent. Ils seront bien sûr piégés car « prendre de la drogue c’est aussi être pris par la drogue »… tous plus ou moins sombrant dans l’addiction alors que le bouc émissaire deviendra ce malheureux Hermès coupable d’« attitude merdique ».
Grâce à la non-direction d’acteurs de Stéphane Arcas, également plasticien, auteur et metteur en scène, ce sont dix comédien/ne/s-personnages qui vont squatter et traverser le vieil appart’ encombré et crade (à Toulouse et même sans couleur locale, « ça pègue »), chacun restant lui-même avec ses caractéristiques et tics préservés. Parmi les plus « vrais »: en tête Nicolas Luçon (un Hadès idéal), et Claude Schmitz, Ugo Dehaes, Julien Jaillot, Renaud Cagna, Philippe Sangdor, mais aussi les filles : Guylène Olivares, Chloé De Grom…
Ils et elles vont vaquer à leurs (non)occupations, se couchant sur la moquette, s’affalant dans canapé et fauteuils, lisant, indifférents, pendant « le numéro » de l’un ou l’autre. Dans ces monologues parfois en forme de discours politique, toutes sortes de sujets seront abordés (dont certains encore d’actualité…).
« Ces années-là… »: la France de 1992 ? Le couturier Paco Rabanne triomphe à Paris avec et sous François Mitterand. Nirvana, Pearl Jam… sont les groupes-phares mythiques du moment avec Kurt Cobain en idole vénérée alors que les rappeurs se pointent à l’horizon…
Un intéressant « docufiction » teinté de romantisme narcissique
Pas d’intrigue ni de construction dramatique réelle, une suite de séquences; encore moins de suspense, de rebondissements, tout ou presque est prévisible. Plus qu’une véritable oeuvre théâtrale, c’est un reportage que le public suit avec attention malgré les longueurs. Font partie justement du « grunge », ces longs passages musicaux « live » avec les « bad vibrations » de Michel Cloup et Aymeric de Tapol, et ces interminables soliloques lyrico-poétiques que n’auraient pas désavoué les vieux poètes de la beat generation.
Mais la « grunge attitude » en est bien loin et plus du tout dans le « peace & love » des hippies. Le sexe reste décomplexé mais inquiet (le sida rôde) et l’échangisme fait place à la suspicion, à la jalousie, au retour au couple libéré mais sécuritaire. Plus de « peace »; si on reste nonchalant, indolent, on peut se heurter avec force parfois. Plus de joie « in the country » mais des fêtes techno qui se termiment mal. Les substances illicites « dures » ont remplacé la marijuana.
« Un libéralisme qui ne comble pas et un communisme qui s’effondre » c’est ainsi que l’auteur des textes, Stéphane Arcas, caractérise l’époque où lui-même avait une vingtaine d’années. Son récit est autobiographique par certains côtés. Il fait dire à Hadès: « lorsque la situation devient trop désespérée, si on ferme les yeux, qu’on envisage l’affaire autrement, on s’aperçoit qu’elle prête à rire. » Cependant on ne peut pas dire qu’il s’agit d’un spectacle drôle ou simplement utilisant un humour distancié… Bleu de bleu ou noir de noir : les couleurs de la désillusion.