Stéphane Arcas adapte “Retour à Reims”, de Didier Eribon. Avant-propos.

 

De Stéphane Arcas, plasticien et homme de théâtre, on connaît le travail de scénographe (“L’Institut

Benjamenta”, “Nevermore”, “Démons me turlupinant”), et celui de metteur en scène (“L’Argent”, “La Forêt”, “Bleu bleu”). Avec “Retour à Reims, sur fond rouge”, il ajoute une couleur à la palette de ses créations précédentes, et mène à bien un projet longuement mûri, et qui a fini par trouver au Varia le soutien né­ cessaire – “Il fallait une sensibilité fémi­ nine pour me suivre là­dessus”, dit­il – as­ sorties de conditions de travail honnê­ tes.

Sociologie et poésie

D’où vient que le projet ait peiné à trouver le soutien d’une institution ? “Disons que c’est un texte de gauche pour gens de gauche… Par ailleurs, ça peut pa­ raître a priori pas du tout sexy de dire qu’on adapte un bouquin de sociologie au théâtre.” L’“essai autobiographique” de Didier Eribon a déjà été porté à la scène, par Laurent Hatat en France, par Tho­ mas Ostermeier à la Schaubühne.

“Il faut faire confiance à l’intelligence du public”, appuie Stéphane Arcas, pour qui “Retour à Reims” (Fayard, 2009) porte sur “la transmission d’un patri­ moine via un trauma”, à quoi vient s’ajouter “un point de vue littéraire et poétique”. Ce dont part le metteur en scène pour aller vers l’onirisme.

Ce sont cependant des positions très concrètes qui l’ont séduit – ou plutôt qui ont rencontré ses propres préoccu­ pations. “Ce livre – qui m’a été mis en mains par ma psy – a libéré des choses en moi. Partout dans le monde, d’ailleurs, il a éveillé des consciences, en ce qu’il permet de mieux comprendre le système. Eribon réaffirme l’existence de la classe ouvrière. C’est fondamental ! Vers 1860, les patrons ont réfuté l’idée de classes sociales et mis en avant un discours égalitaire, qui en fait permettait d’installer une domination. Aujourd’hui, tout n’est pas fabriqué en Chine ou en Corée, 25 % de la population active appartient au monde ouvrier. Si l’on ajoute les caissiers et caissières, les manutentionnaires, les boulots dits ‘à haut taux de pénibilité’, on frise les 40 %. Or la classe politique dominante, y com­ pris la gauche néoconservatrice, nie cela. Cet abandon a ouvert la porte à la récupé­ ration de ce groupe par le FN en France, par exemple, et d’autres partis populistes.”

Du monde ouvrier au monde de l’art

Stéphane Arcas, fils d’ouvrier né dans le Lot­ et­ Garonne, n’aimait pas l’école mais se plongeait volontiers dans les li­vres d’art et la peinture. Il se dirigera vers les arts plastiques, à Toulouse puis Marseille, avant d’injecter cette sensibi­lité esthétique dans les arts scéniques. Il s’installe à Bruxelles en 2005. “Je suis un transfuge de classe”, assume-­-t­il.

Eribon, qui se réclame de la tradition de la “pensée critique” dans le sillage de Bourdieu, de Foucault, part de ce cons­ tat dans “Retour à Reims” : allant revoir sa mère après la mort de son père, il re­ trouve ce qu’il a quitté 30 ans plus tôt. “Ce constat va creuser et ouvrir une ré­ flexion plus large sur la fabrication des identités, la politique, les choix… Il établit une mise à distance qui lui permet de dé­ crypter comment sa sortie du placard comme homosexuel a correspondu à son entrée au placard social.”

Le brasier de la conscience

Le “Sur fond rouge” ajouté au titre d’origine est moins une couleur politi­que que celle d’un brasier. “Au premier plan, il y a la pensée à court terme des po­litiques qui nous font croire qu’ils se sou­cient de nous. A l’arrière-­plan ça bouillonne, grâce aux mouvements ouvriers et citoyens: on est la lave, cette planète ne peut exister sans nous.”

“Gamin, raconte Stéphane Arcas, le monde me paraissait incompréhensible. Dans le milieu prolétaire, il y a une my­ thologie : le ‘eux’ des patrons – l’équiva­ lent des mages, des seigneurs –, et le ‘nous’. Eribon parle des banlieues françaises, des LGBT, montre que ces combats sont imbri­ qués, et toujours marqués par le rapport dominant/dominé.”

Faire matière

Si le spectacle qui verra le jour mardi prochain n’est pas estampillé “tout pu­ blic”, “l’enfant et l’ado que j’ai été, sa souf­ france, sont complètement dedans”, con­ fie le metteur en scène qui, après l’auto­ fiction de “Bleu bleu”, a voulu remonter plus loin. C’est pourquoi aussi il voulait du rock, musique adolescente, révoltée, et vecteur par essence de la culture po­ pulaire. “Même quand j’écris des specta­cles, il y a toujours beaucoup de moi, avec beaucoup de mensonge. Aux comédiens, ici, j’ai dit : jouez vous, plus mes emmerde­ments, plus ceux d’Eribon.” Son fonc­tionnement : “Je dirige très peu au début. Je cherche l’humanité de l’acteur, com­ ment il déforme le texte que je lui confie. Ça va créer l’accident qui fait matière théâtrale.”

Sociologique et politique assurément, ce spectacle sera­t­il pour autant à clas­ ser dans le théâtre de l’engagement ? “Le théâtre engagé, pour moi, ne met pas la barre trop bas, fait confiance au public, est exigeant. Les dialogues entre les per­ sonnages sont chargés d’une relation poli­ tique au monde, bien sûr, mais ce n’est pas parce qu’on traite d’un sujet social, cultu­ rel, politique, qu’on est engagé. L’engage­ ment, c’est à l’intérieur de la production qu’il s’opère : comment on se comporte, comment on traite les gens.”

Pour la scénographie de “Retour à Reims, sur fond rouge”, Stéphane Arcas a retrouvé le plasticien Claude Panier – et tient à ménager la surprise.

“Il me fallait vraiment des passeurs de sens.”

A propos des comédiens réunis pour “Retour à Reims, sur fond rouge” : Marie Bos, Julien Jaillot, Nicolas Luçon, Thierry Raynaud, Fyl Sangdor, Claude Schmitz “portent tous la parole d’Eribon, chacun avec sa manière et son point de vue”. S’y ajoutent, sur le plateau, les musiciens Michel Cloup et Julien Rufié.

Marie Baudet

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