Une scénographie, ouverte sur le monde, tout en finesse, où la place est faite à un onirisme qui adoucit un propos parfois grave et sombre sur le monde où nous vivons.

L’important, ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous. — Jean-Paul Sartre

Quel essai bouleversant que ce Retour à Reims de Didier Eribon, sociologue et philosophe français, dont s’empare Stéphane Arcas pour sa dernière création qui ouvre la saison du Varia. Ce texte engagé nous emmène, au fil de monologues successifs, dans une poignante épopée familiale racontée comme un cri douloureux mais salutaire. Six comédiens et deux musiciens restituent magistralement sur scène l’univers d’Eribon, libérant l’émotion, restituant peu à peu un passé volontairement enfoui. Ici, c’est aussi un Retour à Reims sur fond rouge, une couleur qui permet de décrire précisément un sentiment de colère. 

Stéphane Arcas évoque

le rouge du brasier qu’est notre planète, de la lave sous nos pieds prête à exploser à tout moment. C’est le rouge de la lutte qui reviendra toujours s’opposer à l’imbécilité. — (St. A.)

Un jour, on naît sans choisir où l’on naît. Et pourtant, cela nous marque, nous construit et nous poursuit. Après l’enterrement de son père, Didier Eribon retourne chez sa mère à Reims, sa ville natale. Il retrouve ce milieu ouvrier qui a marqué son enfance et qu’il a quitté plus de trente ans auparavant, tournant le dos à ce passé, à sa famille. Il décortique le sentiment de honte sociale, le déterminisme et les émotions qui jaillissent de ce retour sur soi. Il revisite l’histoire familiale, tentant de comprendre les fils qui les ont guidés, lui et les siens. L’histoire de son homosexualité incomprise. De son père envoyé à l’usine à 15 ans, communiste, fier de sa condition, même difficile. De sa grand-mère déclarée collabo à sa mère humiliée par ces bourgeois chez qui elle fait le ménage. Et puis, un jour, on ne vote plus communiste mais Front national, en rejetant l’autre, celui qui est différent et qui n’est pas français. Peut-on comprendre cet indicible d’où naît la honte sociale ? 

Stéphane Arcas souligne que le regain pour ce type de texte s’explique par le fait que les gens attendent une nouvelle pensée de gauche : 

« Retour à Reims permet de voir en quoi on s’est plantés, il montre que nous ne sommes pas seuls dans notre coin à nous dire que ce monde est injuste et que les politiques se foutent de notre gueule. Nous avons tous besoin d’une réflexion politique, de penser un nouveau modèle de gauche et de politique en général. Ce n’est pas facile de se détacher d’un regard que l’on porte sur le monde. Pour vaincre l’ignorance, il faut éduquer. Ce texte brasse très large. Il fait mention des problèmes de banlieues, des classes sociales, de l’homophobie. La question de la féminisation est également cruciale chez Eribon. Il dénonce très clairement le système patriarcal qui, pour maintenir son pouvoir, frustre toute la population»

Tout ce propos grave et parfois sombre nous est narré dans une scénographie, ouverte sur le monde, tout en finesse, où la place est faite à un onirisme qui adoucit le propos, nous rappelant que l’utopie est aussi bien présente dans l’univers qui nous entoure. Comme les personnages de la pièce, nous avons, au-delà de toute réalité, le droit de rêver. Fort heureusement. 

Emmanuelle Dejaiffe

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